mardi 27 septembre 2011

Emilie entre fabulations et vérités de Marie BARRILLON

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« Il est certain qu’au fil du temps, nous ne discernons plus le vrai du faux. Ce ne sont pas de véritables mensonges. Juste de petites variations dans les faits pour faire sourire. Je fais mon petit théâtre telle une grande artiste sans accompagnateur. Une vedette dans son dernier acte, son ultime représentation scénique en solitaire. Fabuler est l’un de mes derniers plaisirs ! En rire est l’une de mes ultimes joies. »




L’histoire

Emilie, une mamie de 90 ans, se dévoile et nous retraçons avec elle sa vie riche en événements personnels mais ce livre au delà du témoignage relate quasiment un siècle de l’histoire de France.

« Quatre vingt dix années de lourdeur diffuse. Tumultueuses pour une bonne moitié. Tendresses et jeux pour le premier quart. Sagesse et fatigue pour le dernier quart. Puis enfin, repos et hallucinations pour cette dernière ligne droite sur laquelle je reste fière. »

Habitant avec son fils Jean et assistée de Mélina dans sa vie quotidienne, la vieille dame noue une relation particulière avec cette dernière secrètement amoureuse de Jean. C’est là dans cet instant où l’on se retrouve ravagé par le talent de Marie BARRILLON. Ne se contentant pas de relater les faits d’une veille dame avec beaucoup d’émotions, elle immisce une histoire amoureuse balbutiante et touchante.

L’histoire d’Emilie

Nous traversons le siècle avec les différents combats menés par Emilie au cours de sa vie. Dans l’ordre historique, nous sommes plongés dans les accords Matignon et les grands mouvements sociaux de 1936, puis nous basculons dans la période si noire de la seconde guerre mondiale. L’appel du Général de Gaulle, la résistance et le S.T.O. sont évoqués rappelant les heures sombres d’une France en si grande difficulté. L’expérience personnelle d’Emile dans ses heures sombres où elle perdra ses parents suite aux bombardements, et qui marquera son engagement dans la résistance, emporte le lecteur dans un flot d’émotions profondes.

«Il fallait survivre plus que vivre. C’était alors le temps du système D., de la débrouille, c’était la guerre. Mais nous avions l’âme forte. Un discours du Général De Gaulle restait dans nos esprits, fort comme un arbre millénaire, il avait dit : « la flamme de la résistance française ne peut pas s’éteindre et ne s’éteindra pas. » »

Mais Emilie ne s’arrêtera pas là. Suivra l’action pour la contraception et le droit à l’avortement. Nous traversons également une société où des valeurs comme la solidarité et la fraternité faisait encore partie du langage commun qui aujourd’hui laisse place à un individualisme parfois inquiétant.

« Ces risques, bon nombre de gens d’aujourd’hui ne les prendraient peut être pas car la solidarité n’est plus dans les cœurs. Aujourd’hui, les gens sont devenus de grands individualistes. Nous, nous ne nous posions pas de questions. L’hésitation n’avait pas lieu d’être. Rien n’était valable que d’aller de l’avant pour tenter d’être vainqueurs. »

Nous assisterons enfin d’un œil amusé au regard porté par Emilie sur les évolutions technologiques de notre société mais également au regard inquiétant sur les maisons de retraite.

« Nous aussi nous avons fait nos révolutions, nos petits délires, certainement en moins grandioses que les jeunes d’aujourd’hui, mais pour nous et l’époque dans laquelle nous évoluions, c’était quelque chose de très osé et d’assez révélateur. Nous ignorions l’angoisse de la vie. Celle que je ressens à présent trop souvent. »

Des histoires d’amours…

Emilie ouvrira largement son cœur dans ce livre. Son premier amour Jules et le père de Jean, Robert, chacun perdu à cause de la guerre, occupent une place importante dans ce roman. Mais c’était sans oublier de se tourner vers le futur avec l’histoire d’amour naissante entre Jean et Mélina qui s’affirmera grâce au regard bienveillant d’Emilie.

« Et Marina, que deviendra-t-elle ? Je ferais d’elle un gouffre d’amour inassouvi, transformée en un être de douleur. Elle sera, blessée dans toutes les profondeurs de son cœur, de son âme. Elle sera subitement suspendue aux nuages, à la recherche des anges du ciel pour m’y voir, peut être. »

Un livre à mettre entre toutes les mains pour ne pas oublier que le combat est toujours plus que nécessaire même si la résignation nous guette souvent et le tout nous est servi sur un lit d’amour. Marie BARRILLON réussit incontestablement un coup de maître.

Prix : 13,90€
Editeur : Les éditions le Manuscrit
ISBN : 2748199405

vendredi 26 août 2011

Entretien avec Marie Laure BIGAND à l’occasion de la sortie de « Et un jour, tout recommencer… »


1°) Présente au salon du livre parisien comme à la séance de dédicaces organisée par Marie BARRILLON, comment abordes tu ta rencontre avec tes lecteurs ?

Toujours avec appréhension. Les premières minutes où je me retrouve derrière la table, mes livres devant moi, et les gens qui passent, ne sont jamais simples à gérer. Lorsqu’on écrit on vit d’une façon assez isolée, et d’un coup on devient « vendeur » de nos productions, il y a là un décalage qui demande une certaine adaptation. Une fois ce stade dépassé la rencontre avec les lecteurs a quelque chose de magique, car il se créé un vrai partage. Souvent les gens me racontent des bribes de leur vie et je reçois ces confidences comme un cadeau. C’est une vraie richesse toutes ces rencontres.


2°) Si le titre de ce livre « Et un jour tout recommencer… », comment a débuté l’écriture de ce livre ? Peux tu nous dévoiler l’histoire de ce roman? Vu la construction minutieuse du récit, je suppose que tu as travaillé avec un canevas…

Je ne sais jamais trop comment me vient l’idée d’un livre. Un jour elle est là... C’est plus un fil conducteur qui se profile et le livre se construit alors au fur et à mesure. C’est ça la magie de l’écriture, enfin pour moi, car si l’histoire était toute définie à l’avance je crois que je m’ennuierais, tandis que là j’ai toujours la surprise de me demander ce qui va arriver à mes personnages, et j’évolue avec eux. Par contre, une fois le livre terminé, je refais un gros travail de réécriture, où il ne faut pas avoir peur d’enlever ce qui alourdit le texte pour le rendre le plus fluide possible.

3°) Les descriptions sont remarquablement bien écrites que cela soit les paysages ou encore les scènes de gare, as tu comme Valérie, ton personnage principal, traversé toute une partie de la France pour nous faire ressentir tant d’émotions à travers tes pages ?

Généralement je me sers de lieux où je me suis rendue, mais pas toujours… Internet est un formidable outil pour visiter des endroits inconnus et répond à peu près à toutes mes interrogations. Les forums aussi me sont d’une grande utilité sur un sujet précis.

4°) Nous sommes dans une société tentant de vendre du bonheur. Ce roman évoque souvent ce thème…quelle est ta définition de ce dernier?

Ma définition du bonheur ? Réussir à être en accord avec soi… Cela demande du temps mais lorsque l’on y arrive je crois que la vie est plus simple à aborder.

5°) « Elles étaient la base de son mal être, seulement l’écriture n’était pas pour elle. Elle prit les feuillets et les déchira en petits morceaux. » Déchires tu souvent et imagines tu ta vie sans l’écriture ?

Alors oui je déchire souvent… Je suis tout le temps en train de griffonner sur des feuilles, donc forcément je déchire, mais avant je retranscris sur mon ordinateur ce qui peut être conservé. Non, je n’envisage pas la vie sans l’écriture… Même si un jour je ne réussissais plus à écrire de romans (on ne sait jamais), je continuerais à écrire des impressions, des petits textes parce que je ne serais pas faire sans, tout simplement…

6°) Tu sors juste ton quatrième roman mais j’ose poser la question : si ce n’est pas trop confidentiel, quels sont tes projets ?

J’ai commencé à écrire mon 5e roman, tout doucement, car lorsque j’ai terminé un roman il me faut un temps assez long pour me détacher de mes derniers personnages. Je vis avec eux durant de longs mois et la séparation n’est pas aisée.

7°) A quelle question aurais tu souhaité répondre ? Quelle est ta réponse ?

Ce n’est pas une question que j’ai envie de poser, mais plus un remerciement envers des chroniqueurs qui, comme toi, s’intéressent à des auteurs qui ne sont pas médiatisés, pour les mettre en valeur.
Alors un grand merci à toi Clément.

Merci beaucoup Marie Laure.
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Et un jour, tout recommencer...de Marie Laure BIGAND


« Chacun devrait avoir le droit de proclamer : « Stop, je « pause » ma vie quelque temps, laissez-moi la digérer, laissez-moi faire un point sur moi même, laissez moi retourner à ce que j’étais vraiment, laissez moi et ne me demandez pas de me justifier, laissez-moi ! » A l’intérieur les mots martyrisaient son cœur. Elle en était encore à la culpabilité. »









Une fuite pour se retrouver

Valérie quitte son domicile dans la région parisienne un matin pour rejoindre un gîte en Lozère. Dès les premiers pages, nous comprenons la profonde souffrance en elle pouvant expliquer ce départ brutal laissant les siens avec quelques mots sur la table de la salle à manger « je pars, ne me cherchez pas… ». Les siens : trois enfants et un époux…puis également Christelle et Antoine que nous découvrirons un peu plus tard dans l’aventure. Au fil des pages, nous traversons les différentes étapes du cheminement que va mener Valérie pour se retrouver et nous apprenons à découvrir les raisons de son départ et de sa tristesse.

Après la Lozère, elle ira retrouver sa tante dans le Luberon. Cette dernière, par sa propre détermination et son courage pour une existence choisie la guidera à sa façon.

« Souvent elle se jugeait lâche de ne pas avoir eu le courage d’affronter Alain, ses enfants, de ne pas avoir réussi à leur dire qu’elle était épuisée, que plus rien ne l’intéressait, qu’elle n’aimait plus leur quotidien, qu’elle se faisait l’effet d’être transparente. Mais au fond d’elle, elle savait bien que c’était de fausses raisons, que les vraies restaient à résoudre et qu’elle refusait encore de les affronter. Lorsque la culpabilité l’envahissait un peu trop, elle se disait qu’après tout elle méritait ces vacances là, et continuait dans cette échappatoire dont elle maîtrisait maintenant toutes les ficelles. »

Au bout de quelques mois elle rejoindra La Rochelle où vit une de ses anciennes collègues de travail. Celle ville sera un tremplin à sa propre histoire par une rencontre inattendue et bouleversante

Chaque stade permet de mieux comprendre le passé et l’état de Valérie. Des rencontres plus ou moins importantes ponctueront également les trois pèlerinages lui offrant au contact des autres l’opportunité de mieux se connaître tout en analysant des épisodes de sa propre existence.

Un tourbillon d’émotions

L’auteure excelle dans les descriptions n’hésitant pas à nous donner l’ensemble des éléments nous permettant de nous plonger totalement dans cette histoire. Nous vibrons avec Valérie grâce à l’harmonie des mots et un récit construit d’une main de maître. La succession des différentes étapes et la parcimonie des indices permettent de tenir en haleine le lecteur tout en le faisant passer par toutes les émotions. Si la tristesse est au rendez vous, nous retrouvons une sensualité et une sensibilité débordante.

« Au bout d’un long moment, de sa main libre, Stéphane attrapa avec délicatesse le menton de Valérie et l’obligea à le regarder. Dans son cœur, elle avait vingt ans, un large sourire dans les yeux, et le corps cotonneux. Il lui caressa la joue avec lenteur ; elle posa à son tour sa main sur sa barbe et la parcourut du bout des doigts d’effleurements maladroits. Il la prit dans ses bras et l’amena contre lui. Un vent discret balayait leurs cheveux et soulevait par endroits le sable. »

« Il n’était pas capable d’embrasser mais il était capable d’une immense tendresse, et c’est le bien le plus précieux qu’ils pouvaient s’offrir l’un à l’autre. »


Je pense que cette phrase même si elle n’est pas la dernière de ce roman permet de donner un aperçu de l’histoire dans laquelle Marie Laure BIGAND nous entraine avec brio.

« Elle réalisait que c’était grâce à sa fuite qu’elle avait réussi à prendre de la distance avec elle même. »







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Le joueur d'échecs de Stefan ZWEIG


« Si donc les deux camps sont représentés par la même personne, la situation devient contradictoire. Comment un cerveau pourrait-il savoir quel but il se propose en jouant avec les blancs, puis l’ignorer sur commande pour faire ses plans avec les noirs ? Un pareil dédoublement de la pensée suppose un dédoublement complet de la conscience, il dénote une étrange capacité d’isoler à volonté certaines fonctions du cerveau, comme s’il s’agissait d’un appareil mécanique. Vouloir jouer aux échecs contre soi même, cela équivaut à vouloir marcher sur son ombre. »


Un joueur d’échec comme personnage principal ?

L’histoire se déroule sur un paquebot quittant New York pour rejoindre Buenos-Aires et Zweig nous entraine dans l’univers des jeux d’échecs mais le sujet semble beaucoup plus vaste au fur et à mesure que nous découvrons cette histoire.

Le talent de Zweig est palpable bien sur dès le début car nous nous demandons vers quel chemin il nous entraine et nous sommes, bien entendu, dans l’obligation de poursuivre notre lecture pris peut être comme la fameuse démence du joueur d’échecs…

Mirko Czentovic, champion mondial et …

Mirko Czentovic, personnage principal au début du roman, est le champion mondial du jeu d’échecs et se retrouve sur ce bateau prêt à remporter de nouvelles victoires en Argentine. Il nous replonge alors dans son enfance et comment cet enfant qui semblait être doué pour rien se révèle un jour surprenant dans une partie d’échecs. Le curé qui l’a recueilli décide de l’entraîner dans la ville voisine afin d’observer si son talent se confirme. C’est chose faite et très vite, il devient le champion mondial.

Le narrateur qui se trouve sur le bateau souhaite découvrir un peu mieux Czentovic.

« Les gens qui sont possédés par une seule idée m’ont toujours intrigué, car plus un esprit se limite, plus il touche par ailleurs à l’infini. Ces gens, qui vivent solitaires en apparence, construisent, avec leurs matériaux particuliers et à la manière des termites, des mondes en raccourci d’un caractère tout à fait remarquable. »

Quoi de mieux pour un joueur d’échecs que de l’attirer par le propre jeu ? Il lance alors l’idée de l’organisation d’une partie et puis moyennant finance Czentovic va accepter de jouer. C’est alors qu’un personnage s’immisce dans le jeu et dans le roman. Ce dernier se présente comme une pièce maîtresse pour bien comprendre le message de l’auteur. Il va battre Czentovic et dévoile tout un raisonnement que les autres perçoivent difficilement…

… Monsieur B : le prisonnier du jeu…

Monsieur B se présente donc comme un joueur extrêmement doué mais curieusement inconnu dans le milieu. Notre narrateur part donc à sa rencontre le lendemain afin de lui proposer de nouveau une partie. Là, nous rentrons totalement par surprise dans une autre histoire. Nous découvrons la gestapo, la façon totalement surprenante comment Monsieur B se fait torturer moralement en étant détenu dans une chambre d’hôtel sans aucune activité possible au début de la seconde guerre mondiale. Le jeu d’échecs apparaîtra comme une solution à sa détresse mais cela ne représentera-il pas une forme d’emprisonnement bien plus terrible ?

« En créant autour de chacun de nous un vide complet, en nous confinant dans une chambre hermétiquement fermée au monde extérieur, on usait d’un moyen de pression qui devait nous desserrer les lèvres plus sûrement que les coups et le froid »

Un livre bouleversant, une histoire renversante, un livre publié à titre posthume par un virtuose des mots.


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dimanche 21 août 2011

Entretien avec Annick Stevenson à l'occasion de la sortie de son premier roman "Génération Nothomb"

Journaliste, auteur et traductrice française, Annick Stevenson, qui vit aujourd’hui près d’Annecy, ignore les frontières. Elle a longtemps parcouru le monde pour les Nations Unies et vécu dans plusieurs pays qu’elle a toujours eu du mal à quitter. Son dernier ouvrage, Blanche Meyer et Jean Giono (récit littéraire sur l’amour caché de Jean Giono) a paru chez Actes Sud en 2007. Génération Nothomb est son premier roman. Pour en savoir plus sur les livres de l’auteur et son parcours, vous pouvez consulter son site : http://www.annickstevenson.com/index.htm



1°) Journaliste pour les Nations Unies, traductrice, auteure de Blanche Meyer et Jean Giono paru chez Actes Sud en 2007, nous ne vous attendions pas avec un premier roman ayant pour thème Amélie Nothomb. Comment l’idée de ce roman est elle née ?

L'idée m'est venue de l'expérience vécue par mon propre neveu, qui n'aimait pas du tout lire quand il était enfant. Or, un jour, il avait peut-être 19-20 ans, il m'a annoncé fièrement s'être « mis à la lecture » après avoir acheté, et lu, un roman d'Amélie Nothomb. C'était une révélation. Après avoir lu plusieurs de ses romans, il s'est intéressé à d'autres auteurs. Le désir était né. J'ai appris par la suite qu'il n'était pas un cas isolé, que de nombreux jeunes prennent goût à la lecture après avoir lu un livre d'Amélie Nothomb, parfois parce qu'un enseignant a eu la bonne idée de l'inscrire au programme scolaire. Depuis, j'ai rencontré la romancière à plusieurs reprises pour l'interviewer sur ses nouveaux romans. Evidemment, comme tout auteur de bestsellers, elle attire des foules lors de chaque apparition publique. Mais ce qui la distingue, c'est qu'elle entretient une relation épistolaire unique avec un nombre considérable de lecteurs : des jeunes garçons et filles, mais aussi des hommes et des femmes plus âgés. Elle les reconnaît lorsqu'ils viennent lui faire signer un livre, les appelle par leur prénom, leur pose des questions personnelles démontrant qu'elle prend à cœur cette relation. J'ai voulu me mettre dans la peau de l'un d'entre eux pour mieux comprendre comment se tissaient de tels liens.

2°) Avez vous lu l’ensemble des romans d’Amélie Nothomb pour réaliser ce roman? Si oui, quel est votre préféré et pouvez vous nous dire pourquoi en quelques mots ?

Oui bien sûr j'ai lu, ou relu, tous ses romans. J'y ai pris beaucoup de plaisir. Non seulement les intrigues sont originales, mais j'adore les clins d'œil qu'on y trouve, les petites affirmations drôles et pleines de bon sens, qui donnent à réfléchir, ébranlent des certitudes ou font tomber les tabous. J'aime beaucoup son humour. Et j'ai donc eu envie, en les relisant, de souligner dans mon roman quelques-uns de ses jeux d'écriture et idées-forces.

Je crois mon favori reste Hygiène de l'assassin. Mais j'ai beaucoup aimé aussi Les combustibles, Biographie de la faim, Acide sulfurique, Péplum, Le Voyage d'hiver, etc. Et ceux qui ont le Japon comme cadre : Métaphysique des tubes, Stupeur et tremblements, Ni d'Eve ni d'Adam. J'aime bien aussi le tout dernier, Tuer le père.

3°) J’ai noté la construction intelligente et délicate de votre premier roman. Quelle a été votre méthode de travail ? Avez vous des rites dans l’écriture comme Amélie Nothomb ?

Oh je suis loin d'être aussi organisée qu'elle ! J'ai un peu tâtonné au début, alterné les extraits d'authentiques forums avec les lettres fictives que mon personnage, Sam, envoie à Amélie, puis j'ai rééquilibré les chapitres car j'avais cité trop d'extraits, et finalement, comme je trouvais Sam un peu trop seul, j'ai rajouté de courts dialogues avec sa tante, également en alternance avec le reste. Au début, j'était tentée d'écrire davantage comme une journaliste, presque sous une forme documentaire, puis j'ai romancé de plus en plus, je me suis laissée prendre par l'histoire au fur et à mesure que je l'écrivais. La fin, que j'avais d'abord imaginée différente, s'est alors imposée d'elle-même.

4°) Que répondez vous aux détracteurs d’Amélie Nothomb et notamment à tous ceux qui disent que ce n’est pas de la littérature?

Je pense que ceux qui disent cela ne l'ont pas vraiment lue. Ils devraient, car il s'agit vraiment de littérature, avec tout ce que l'on peut espérer y trouver, des intrigues et revirements étonnants, des surprises, des allusions subtiles, des drames, de l'amour, de la haine, du sang, du doute, une fin qui bouscule tout. Le tout enrobé dans un style tout en finesse et raffinement. Certains longs paragraphes sont d'une telle beauté qu'ils devraient être lus dans les écoles comme exemples d'expression d'une sensation ou d'un sentiment. J'en ai reproduit plusieurs dans mon livre.

5°) A chaque fois, vous réussissez à créer la surprise. Quel est votre prochain projet littéraire si vous pouvez nous l’évoquer?

Il est un peu prématuré d'en parler, mais ce sera en effet encore tout autre chose !

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"Génération Nothomb" de Annick Stevenson






« Eh bien moi, c’est encore plus fort que çà, vous m’avez donné le sixième sens ! Enfin, je ne sais pas si on dit de la lecture qu’elle est un sixième sens, mais ce que je ressens c’est tout comme : j’ai découvert quelque chose en moi d’aussi important que la vue, l’odorat ou le goût. Je lis !!! »







Une histoire

Sam, jeune homme complexé, travaille dans un atelier qu’il n’apprécie guère. Malgré son inintérêt pour la lecture, un jour où les problèmes quotidiens s’accumulent, il se retrouve à acheter Hygiène de l’assassin.
Sa tante, passionnée de littérature et rédactrice pour un journal local, lui avait déjà offert Stupeur et tremblements mais il ne s’y était pas intéressé.
Avec Hygiène de l’assassin, c’est le début d’un renouveau pour lui avec la lecture de son premier livre. C’est dans ce contexte qu’il commence sa première lettre à Amélie.

« Pour résister à la masse convulsive qui l’attend certains lundis matins, elle s’efforce, disait elle à la même journaliste, de toujours garder à l’esprit que ces lettres sont des cadeaux qu’elle reçoit. Afin de ne pas gâcher le plaisir de la découverte, elle ne les ouvre qu’une à une, n’abordant la suivante que lorsqu’elle a achevé la lecture de la première, pris le temps d’y réfléchir, et d’y répondre avec le respect et la patience qu’elle estime devoir à celle ou celui dont elle est la confidente.
Elle s’assoit et prend en main la première enveloppe. Une écriture appliquée, qu’elle ne connaît pas. Un timbre aux tons rouge et or représentant une scène du Sud de la France, soigneusement choisi à n’en pas douter ; Elle la décachette, et commence sa lecture. »


La construction du roman

Annick Stevenson avec Génération Nothomb, réussi un jeu de maître où se mêle l’ensemble de ses talents.

Journaliste tout d’abord. En effet, elle parsème ce livre d’extraits réels de blogs, forums et groupes Facebook consacrés à l’auteure. C’est d’ailleurs dans ce contexte que je me retrouve dans ce livre. A travers ma propre correspondance avec Annick STEVENSON, j’imagine le travail titanesque fourni pour rassembler ces messages et demander aux auteurs de ces commentaires leur accord pour la publication. D’autant plus qu’il faut être capable de faire le tri sur une toile de plus en plus polluée…

Ecrivain, ensuite. Si le dur labeur d’enquêtrice au service du phénomène Nothomb est indéniable, il fallait être ensuite capable d’en faire un roman structuré intelligemment en injectant au bon moment les différents passages. Annick Stevenson parvient à nous entrainer totalement dans l’histoire où se mixent mots réels et le récit de Sam romancé quant à lui.

Le lecteur ne se perd pas dans l’immensité de ce livre. Annick STEVENSON se glisse aussi bien dans la peau d’Amélie Nothomb où nous retrouvons quelques spécificités de l’auteure que dans celle de Sam. Capable d’adapter son champ lexical à un adolescent, nous observons l’évolution de ce dernier au contact de l’ensemble des livres d’Amélie ainsi que de la correspondance qu’entretient ce dernier avec elle. A travers la construction d’un blog consacré à Amélie Nothomb, elle nous plonge à travers les yeux de Sam dans quelques uns des passages clés des romans d’Amélie en citant différents extraits.

Sam, citant Mercure d’Amélie Nothomb dans une lettre pour l’auteure « La littérature a un pouvoir plus que libérateur : elle a un pouvoir salvateur. Elle m’a sauvé : sans les livres, je serais morte depuis longtemps. »


Rayonnement de la littérature

Sam changera peu à peu de vie. Quittant son travail, encouragé par sa tante et par Amélie, il se passionnera pour la littérature. Si les livres d’Amélie NOTHOMB lui apportent le fameux sixième sens évoqué par Sam dans sa première lettre, il découvrira également les auteurs classiques grâce à elle.

Sam dans une lettre pour Amélie, « Je crois que je commence à devenir un homme. Mais je vous rassure, pas du tout celui qu’on me menaçait de devenir. »


Un très beau roman écrit d’une main de maître se lisant comme une réelle histoire d’amour avec la littérature.

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dimanche 1 mai 2011

La Casati de Camille de Peretti


« Le poète s’incline respectueusement et dit : « vous avez la pureté de la licorne, vous êtes la pureté incarnée. » en faisant glisser la pointe de sa barbe blonde à la naissance du bras de la jeune marquise. Il est le premier, il est l’homme d’exception qui trouve le diamant là où d’autres ne voient qu’un caillou. Elle est flattée. Plus que cela, elle est découverte. »










Comment proposer une chronique pour cette œuvre qui, selon moi, représente un OVNI littéraire ? Le talent peut-il se résumer en quelques mots, en quelques parties segmentées dans une chronique littéraire ? Cependant, en arrivant à la dernière page, il m’est apparu qu’écrire cette chronique était essentiel. On ne saurait lire le roman, La Casati, puis le refermer innocemment. Il restera dans mon panthéon littéraire, et c’est la raison pour laquelle, cher lecteur, je prends ma plume.


Une histoire et…


Je ne vous cacherai pas qu’en commençant ce livre, je ne savais pas qui était la marquise Casati… La quatrième de couverture nous dévoile quelques traits de cette femme née en 1881 et décédée en 1957, mais c’est sous une forme assez originale que nous allons apprendre à la connaître au cours de ces quelques pages. J’évoquerai le style dans une seconde partie.

Petite fille éduquée dans un monde riche, Luisa Amman perdit sa mère jeune, et son père, lui, s’occupa de ses affaires jusqu’à sa disparition, deux ans plus tard. Le mariage arrangé étant légion, elle épousa Camillo Casati le 22 juin 1900 voyant par ce biais, la possibilité de vivre sa vie comme elle l’entendait. Tout aurait pu être un long fleuve tranquille, et pourtant cette femme vit un jour sa vie basculer, de par sa rencontre avec le poète Gabriele d’Annunzino. Elle put alors réaliser son rêve : rencontrer des artistes. Ce fut le point de départ d’une nouvelle existence pour celle qui, une fois devenue la marquise Casati, se fit muse et mécène, toute en excès et en excentricité. Ce choix la conduisit sur des routes parfois sinueuses, du fait de ses caprices et de sa détermination à obtenir ce qu’elle souhaitait...


…L’autre histoire


Toutefois, l’écrivaine ne se contente nullement de nous raconter l’histoire de la Casati. Dans cette œuvre, elle se livre en cherchant, au fil des pages, des correspondances avec la vie de son héroïne. Elle s’en rapproche, s’en détache : « Je crois que c’est ici que nos chemins se séparent. En quelques mois, Luisa devient une véritable mondaine. Moi, je reste seule devant mon ordinateur. », ou bien se retrouve, mais surtout Camille de Peretti lève, de temps à autre, le voile sur ce qu’elle est, dans ce roman fort en émotions. La superposition entre des passages de sa vie personnelle et celle de la Casati est construite d’une façon saisissante et remarquable. Comment ne pas s’égarer ? Et, plus que toute autre chose, comment l’écrivaine parvient-elle à ne pas perdre son lecteur ? Assurément parce qu’est au rendez-vous, le talent.


Un OVNI littéraire


En parcourant la quatrième de couverture, le lecteur peut être tenté de penser que Camille de Peretti s’est lancée dans une biographie. Il n’en est rien ! D’ailleurs, l’écrivaine nous met en garde dès les premières pages, « Je ne sais pas faire une biographie. Et j’ai toujours aimé les beaux mensonges dans les livres et dans la vie. Ce livre est un roman. » Néanmoins, ne nous ment-elle pas un peu en nous disant que ce livre est un roman ? La réponse est dans la phrase certainement … Il y a également l’épigraphe, « C’est mon personnage, c’est mon trésor. J’ai le droit de lui faire dire ce que je veux. ». Dès le départ, on sent que l’auteure veut nous surprendre pour rester insaisissable et distante ; elle veut faire s’éloigner la moindre ambiguïté en nous expliquant que ce roman n’est pas une biographie. Vous noterez aussi, cher lecteur, l’utilisation du possessif que l’auteure utilisera plusieurs fois dans son roman.



« Je cherche en vain des anecdotes, des détails, des recoupements, mes recherches stagnent. Des pans entiers de la vie de Luisa restent muets. Elle vient me rendre visite en songe pour me tirer de ce mauvais pas. La nuit dernière, elle me montrait son petit doigt. »



Cela n’empêche pas de constater un travail de recherche immense et passionné. Derrière chaque mot, on le ressent, tout en nous en détachant. C’est alors que la romancière talentueuse se distancie de la biographie en laissant, dans certains passages, quelques indices concernant son travail de recherche à travers Internet, la lecture, ou encore les voyages lui permettant de revivre (et de nous faire revivre) des passages de vie de la Casati. Par moment, j’ai même souri en songeant aux reportages effectués par Camille de Peretti dans le cadre de Next libération dans le style d’écriture.

Cette alternance entre la vie de la marquise et celle de l’auteure représente un montage aussi judicieux qu’audacieux et dangereux, mais on ne peut plus réussi.


« Quand j’ai commencé à écrire ce roman, j’espérais que Luisa et moi finirions par nous trouver. Je ne prévoyais pas que cela se ferait de manière insidieuse, en ravivant des souvenirs enfouis et minuscules. »

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